Le Gouvernement haïtien place la formation professionnelle en construction parasismique au cœur du processus de reconstruction du pays rudement frappé par le séisme du 12 janvier 2010. Plus de 60 formateurs ont déjà été certifiés dans ce domaine et 1000 ouvriers suivront d’ici à la fin de l’année.
« Je travaillais déjà comme ferrailleur, mais cette formation a renforcé mes compétences », se réjouit Wilfrid Digo qui, après cinq semaines de formation, travaille depuis septembre 2012 au centre d’approvisionnement du Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS) à Morne Hercule, Pétionville.
Digo fait partie des 192 ouvriers ayant reçu, avec 63 formateurs leurs diplômes certifiés par l’Institut national de formation professionnelle, (INFP) le 2 juillet dernier. Ils ont suivi entre 200 et 1800 heures de cours inscrits dans le curriculum « Apprendre Pour Reconstruire une Haïti Solide » (APRAS), préparé de concert avec le ministère des Travaux publics, des Transports et de la Communication (MTPTC) et le Bureau international du travail (BIT). Gratuits pour les participants, les cours et la certification sont financés par le BIT.
Placé à la tête d’une équipe de cinq ouvrier-ferrailleurs, Digo promet de « faire de [son] mieux pour partager [les fruits de la formation] avec d’autres qui n’ont pas eu notre chance » (voir le spot du ministère des Travaux publics, Transports et de la Communication sur le chaînage). Choix du site, préparation et gestion d’un chantier, chaînage, maçonnerie, construction d’une toiture légère figurent parmi les procédés et techniques auxquels ils sont formés.
Leur rémunération de stagiaires ne semble en rien décourager ces artisans devenus spécialistes en construction parasismique. « Ce n’est pas le salaire qui nous retient ici. Nous savons ce que nous recherchons », confie un collègue, André Exumé, laissant un instant un lot de barres de fer qu’il manipule sur le chantier de Morne Hercule avec un groupe de collègues.
Ces ouvriers, durant leur période pratique, ont « l’opportunité, d’observer, d’apprendre, mais surtout d’appliquer ce qu’ils ont appris lors de la formation », explique Théodore Achille, Chargé de projets pour les travaux d’infrastructures communautaires à l’UNOPS.
En effet, ils sont intégrés dans des équipes mises en place par l’UNOPS et le MTPTC dans la réalisation de certains travaux en logement et infrastructures liés au projet 16/6 de relocalisation de 6 camps et rénovation de 16 quartiers touchés par le séisme.
« Pour nous l’expérience est fructueuse, dynamique », renchérit Exumé. En outre, la formation et le stage permettent, selon Digo, de « nouer des contacts dans le milieu ».
Emploi, sécurité et meilleures conditions de vie
«Nombreux sont les ouvriers qui ont déjà trouvé un emploi auprès de certains ingénieurs, architectes et même au niveau de certaines entreprises locales », fait remarquer M. Achille de l’UNOPS.
Présentée comme la première étape d’une reconstruction « saine et durable » en Haïti, cette formation est pour le Gouvernement un moyen non seulement « de conjuguer employabilité, amélioration des conditions de vie et sécurité », mais aussi de combler « un grave manque en ouvriers qualifiés » dans le secteur en Haïti, explique Clément Bélizaire, de l’Unité de Construction de Logements et de Bâtiments publics (UCLBP). La grande majorité, soit quelque 98%, a appris le métier « sur le tas, de manière orale », poursuit le responsable du projet 16/6.
Recrutés localement, ces ouvriers ont pour tâche première de reconstruire quelque 750 maisons, d’ici à fin 2013, dans les quartiers identifiés par le projet 16/6 à Port-au-Prince. Ce qui permettra à 1215 familles de bénéficier de la reconstruction ou de la réparation de leurs logements.
Des ‘chantiers ouverts’ dans les quartiers touchés
Tous les vendredis, ils vont à la rencontre des habitants des quartiers de la capitale touchés par le séisme pour les sensibiliser sur les choix de matériaux pour construire durablement.
Des familles entières se pressent sur le chantier. Steeve, un garçon de 10 ans, raconte avec assurance : « J’ai entendu beaucoup de choses sur la construction, par exemple qu’il faut mettre du fer dans les fenêtres, utiliser le sable de rivières et de l’eau propre pour faire un bon ciment », dit le jeune résident du quartier de Jean-Baptiste, à Canapé-vert (voir le spot du ministère des Travaux publics, Transports et de la Communication sur la construction d’un bloc de ciment). « Maintenant je ne vais pas accepter n’importe quoi d’un boss*. Même s’ils connaissent les normes, certains ouvriers attendent qu’un superviseur s’absente pour travailler n’importe comment ; alors il vaut mieux être avisé », rétorque Etienne, dont la maison n’avait pas résisté à la secousse du janvier 2010.
« On leur apprend à identifier des matériaux, à les utiliser. On leur apprend aussi à protéger l’environnement », explique Gilbert Sénéus, l’un des formateurs qui participe à ces ‘chantiers ouverts’ et encadre les élèves-ouvriers sur des chantiers du projet 16/6.
Avant de devenir formateur pour le BIT, Gilbert, qui a lui-même perdu sa maison lors du séisme, enseignait les mathématiques tout en préparant son diplôme en génie civil. Il a ensuite suivi une formation en techniques de construction parasismique pendant cinq semaines avant d’être certifié.
Une période au cours de laquelle il a pu visionner des images des différentes étapes d’une construction et de l’utilisation de matériaux, par exemple, en plus d’être souvent sur le chantier.
Selon lui, l’expérience pratique au sein du projet 16/6 vient renforcer ses connaissances théoriques et le rend « plus alerte, plus soucieux » quant à l’application des nouvelles normes.
Jérôme Pierre Richard